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Société
Chronique |

Le slutshaming, de mère en fille

Le slutshaming commence avant tout à la maison.

Le slutshaming ne se passe pas que dans la rue, dans les milieux de travail, dans les espaces publics ou dans les transports en commun. Le slutshaming commence avant tout à la maison. Et il se transmet entre femmes.

C’est l’étonnante conclusion d’une étude qui vient d’être publiée à l’Université Laval.

La professeure et sociologue Elisabeth Mercier s’est penchée sérieusement sur ce phénomène en interrogeant dix-huit femmes âgées de 21 à 47 ans, en étudiant une cinquantaine de témoignages et en analysant la littérature scientifique sur ce sujet.

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Ce qu’on apprend? Le slutshaming touche davantage les jeunes et il est bien souvent initié par les membres de la famille — les membres féminins qui plus est !

Une précision d’abord. Le slutshaming (une contraction des mots anglais « slut » ou « salope » et « shame » ou honte), c’est le fait de critiquer, stigmatiser, culpabiliser ou déconsidérer toute femme dont l’attitude, le comportement ou l’aspect physique sont jugés provocants, trop sexuels ou immoraux (mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste, « trop » sexuel ou immoral ?).

L’expression est apparue en 2011, à Toronto, lors d’une marche de protestation féministe dont le slogan était « Ne nous dites pas comment nous habiller. Dites aux hommes de ne pas nous violer. ».

Dans la vie de tous les jours

Depuis, on l’entend sur les réseaux sociaux et dans les médias. L’expression ressort souvent dans des cas très médiatisés, des cas extrêmes, spectaculaires. Un exemple type ? La fille habillée « trop » sexy qui se fait agresser sexuellement.

Le réflexe, et ce qu’on entend encore trop souvent, c’est de blâmer la victime. On pointe du doigt son accoutrement (elle l’a cherché, c’est de sa faute) au lieu de parler du comportement criminel du suspect. C’est du slutshaming.

Sauf que l’étude démontre qu’au-delà de ces histoires qui frappent l’imaginaire, il y a le slutshaming ordinaire, celui de tous les jours. Et il prend racine — ô surprise ! — à la maison. En famille. Dans l’intimité. Dans les relations proches, dans le clan, chez soi.

Ça ressemble à quoi, concrètement ? La chercheuse parle de propos dégradants de la part de la mère, la grand-mère, la tante. Et ces paroles, venant de personnes clés de l’entourage, restent, figent et s’ancrent.

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«Es-tu déniaisée?»

Des exemples, j’en ai des tonnes. Lorsque j’ai lancé un appel à tous sur mes réseaux sociaux, j’ai reçu un tsunami de réponses.

Voici quelques-uns des témoignages, en vrac:

«Mon frère enfile les dates et les histoires d’un soir. Personne ne dit rien. Il est qualifié de tombeur. C’est plutôt bien vu, même! Et moi? Je suis célibataire et si j'accumule les amants, eh bien, je suis vue comme une salope, une pute. Bonjour le double standard!» — Kim, 26 ans, de Montréal

«J’ai toujours eu une forte poitrine… Et cela a commencé en cinquième année. On me traitait de “déniaisée” à l’école. Mais c’est quoi le rapport? J’ai 49 ans et quand j’y repense, ça m’enrage encore.» — Annie-Eve, Gatineau

«Ma mère ne voulait pas que je m’habille de telle ou telle façon pour sortir. Je devais me maquiller de façon discrète. Ne pas être trop. J’avais 18 ans. Elle pensait que je faisais cela juste pour impressionner les garçons…» — Maude, 38 ans, Brossard

«Ma grand-mère commente mon poids, ce que je mange et combien j’en mange, et elle me fait aussi des remarques sur la façon dont je m’habille. Je l’aime… mais c’est beaucoup de travail, l’aimer!» — Alice, 16 ans, Québec

«En été, avant de rentrer dans une station de métro, je me couvre. Je ne veux pas que mes formes attirent les regards insistants, les regards séducteurs alors je traîne toujours une grande chemise ample.» — Virginie, 17 ans, Montréal

Le slutshaming internalisé

Ce dernier cas est particulièrement brise-cœur. Virginie a internalisé le slutshaming : elle se juge elle-même « trop » provocante et donc, elle adopte une posture d’hypervigilance.

Et c’est la même chose avec les foutues règles entourant le code vestimentaire dans les écoles, un sujet qui revient chaque mois de juin. Les filles doivent ab-so-lu-ment cacher leurs épaules (les satanées bretelles spaghetti, quelle horreur !) et leurs cuisses (jugées indécentes).

La raison invoquée? C’est déplacé, voire obscène. Et puis, voyons, ça dérange les garçons.

À tous les professeurs masculins qui sont « dérangés » par des décolletés et à tous les pères qui sont « mal à l’aise » devant leur fille en bikini, je demande : mais qu’est-ce qui vous dérange au juste ? Et pourquoi ? Qu’est-ce que ça dit exactement ? Et dites-moi, qui, au juste, a un comportement problématique ?

Honte et humiliation

Le slutshaming est partout. C’est une attaque à la liberté sexuelle des filles, des femmes. Cela induit un sentiment de honte, de culpabilité, d’humiliation. Cela draine l’estime de soi, la confiance, le bien-être, la joie de vivre.

Sous des prétextes de « vouloir protéger », on brime, rabaisse et ébranle. Et cela marque au fer rouge.

Demandez-vous toujours : qu’est-ce que vous êtes en train de dire aux filles? Quels messages faites-vous passer? Qu’est-ce qui sera retenu? Avec quelles conséquences?

Et de grâce, arrêtez de dire aux filles ce qu’elles doivent ou peuvent être!

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